
André-François BOUREAU DES LANDES
RÉFLEXIONS SUR LES GRANDS HOMMES QUI SONT MORTS EN PLAISANTANT. Nouvelle édition, augmentée d'épitaphes & autres pièces curieuses qui n'ont point encore paru.
A Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1758.
1 volume in-12 (15 x 8,5 cm) de (2)-XXII-300-(10) pages.
Reliure plein veau fauve marbré, dos lisse richement orné, pièce de titre de maroquin rouge, doublures et gardes de papier marbré, tranches rouges (reliure de l'époque). Reliure et intérieur très bien conservés. Très frais.
Provenance : Ex libris manuscrit à l'encre brune sur le titre : F. S. Ménard (XVIIIe siècle).

NOUVELLE ÉDITION EN PARTIE ORIGINALE.
Cet ouvrage curieux a paru pour la première fois en 1714. Il ne comptait avoir guère plus de 200 pages. Il y a aussi une édition de 1732.
Ainsi peut-on lire dans l'Analectabiblion de 1837 la notice suivante sur Deslandes et son ouvrage, forcément désuète mais qui éclaire bien le propos de l'ouvrage :
« André François, Bureau Deslandes était né à Poitiers en 1690, il fut commissaire général de la marine, à Brest, et il est mort à Paris en 1757, auteur d'une Histoire critique de la philosophie, d'un Recueil de traités de Physique et d'Histoire naturelle, de Pygmalion, de la comtesse de Monferrat et de quatorze autres ouvrages indiqués par M. Barbier, il est aussi le père de ces Réflexions, qu'il adresse à son ami, le sieur de la Chapelle, de l'Académie française, écrivain médiocre, à qui l'on doit, entre autres choses, les Lettres d'un Suisse à un Français sur les intérêts des princes. Le bon abbé l'Advocat, en qualifiant Deslandes d'auteur estimable qui pousse trop loin la liberté de penser ne pousse pas assez loin, pour un docteur de Sorbonne, la liberté de critiquer ; car ces Réflexions sur les grands hommes morts en plaisantant étalent, sous une forme qui heureusement n'est pas séduisante, le matérialisme le plus brutal. C'est un des premiers écrits de ce genre qui aient paru en français, alors que les esprits révoltés des persécutions religieuses, dont la fin du règne de Louis XIV fut souillée, et las d'une hypocrisie tracassière que le jésuite Le Tellier avait introduite à la cour, se précipitèrent, sans mesure, vers une nouvelle recherche des principes de la philosophie rationnelle. Deslandes annonce dans sa préface, que le goût du public de son temps, fatigué de maximes de morale détachées, telles qu'on en trouve chez MM. de la Rochefoucauld et de La Bruyère, s'étant tourné du côté de la métaphysique, il a entrepris son livre pour s'y conformer, en lui donnant d'ailleurs une forme légère, plus proportionnée à la faiblesse et à l'humeur de ses contemporains. On reconnaît , dès ce début, un auteur impertinent ; aussi l'est-il sans difficulté. Il n'a pas tiré grand profit, dit-il, de l'Officina du médecin Revisius Textor, où se trouve compilé un catalogue des Grands Hommes morts à force de rire, non plus que de l'Historia ludicra de Balthazar Bonifaccio, archidiacre de Trévise, où son sujet est abordé. Ajoutons qu'il n'a tiré grand profit de rien, pas même de sa raison, puisqu'il ne professe que du dédain pour des opinions dont le monde s'honore depuis qu'il y a des hommes. A l'entendre, il a essayé de réaliser le vœu de Montaigne, qui voulait faire un livre des morts notables, dessein bien digne d'un esprit sincère et investigateur tel que Montaigne ; mais certainement il n'a pas réalisé ce dessein comme l'eût fait l'auteur des Essais, ce penseur non moins sage que hardi, qui, assistant son ami au lit de mort, réveillait, dans sa pensée affaiblie, les consolantes idées de l'immortalité de l'âme humaine. Ces Réflexions, du reste, ne contiennent que 23 chapitres fort courts et fort superficiels. Une revue satirique des peines et des folies de l'humanité dans ses diverses conditions y mène d'abord à cette conclusion, que la mort est plus à souhaiter qu'à craindre ; lieu commun réfuté par le prix que chacun attache à la vie. Puis, de l'idée d'une mort inévitable et toujours imminente, le lecteur est conduit à la recherche hâtive des plaisirs ; déduction anacréontique plus que morale. Puis Deslandes cite Fontenelle, qui blâme Caton d'avoir pris la vie et la mort si sérieusement ; mais Fontenelle était un égoïste, à la vérité plein de bienveillance et de délicatesse, mais enfin un égoïste, et Caton n'était pas égoïste. S'il n'y avait sur la terre que des Caton, une société s'ensuivrait très solide et très vertueuse ; tandis que, s'il n'y avait qui des Fontenelle, à peine quelqu'un voudrait-il se déranger pour faire une saulce d'asperge. La doctrine favorite de Deslandes est l'indifférence , la nonchalance voluptueuse,pour me servir de ses expressions. Son héros, en fait de mort, c'est Pétrone, lequel ; se voyant tombé dans la disgrâce de Néron, quitta, sans souci, ses voluptés choisies et se fit ouvrir les veines dans un bain. Mais les voluptés choisies, embrassées comme Punique fin de l'homme, peuvent former aussi bien des Néron que des Pétrone ; témoins Pétrone et Néron. Après Pétrone vient le philosophe Cardan, qui avait prédit sa mort, et se fit mourir à point nommé pour n'en avoir pas le démenti ; ce qui est assurément un bel emploi de la force d'âme. Ensuite défilent Démocrite et Atticus ; Atticus qui se suicida pour échapper aux langueurs d'une diarrhée chronique ; je n'ai rien à dire à cela ; et Démocrite qui se laissa mourir de faim parce qu'il était vieux, avec cette circonstance que sa sœur, son aimable sœur, l'ayant supplié de vivre jusqu'après les fêtes de Cérès, qu'elle désirait voir, il consentit à vider encore un pot de miel. Défilent encore le vieil Anacréon mourant, pour ainsi dire, à table ; Auguste, se faisant coiffer pour la dernière fois, et disant aux siens : « Trouvez-vous que je sois bon comédien? » Rabelais, à l'agonie, congédiant un page du cardinal du Bellay avec ces mots : « Tire le rideau, la farce est jouée ! » Malherbe, en pareille occasion, reprenant sa servante sur une faute de langage ; mademoiselle de Limeuil, fille d'honneur de Catherine de Médicis, expirant au son du violon de son valet Julien ; comme aussi la reine Elisabeth au son de sa musique ordinaire ; Anne de Boulen, prise d'un fou rire sur l'échafaud ; Saint-Evremont, voulant, à son heure suprême, se réconcilier... avec l'appétit ; la courtisane Laïs, au retour de l'âge, exhalant son dernier souffle dans les bras d'un amant ; le léger Grammont disant à sa femme, pendant que Dangeau l'exhortait de la part de Louis XIV : « Comtesse, si vous n'y prenez garde, Dangeau vous escamotera ma conversion ; » Gassendi, moribond, qui se targue, auprès de son ami, d'ignorer d'où il est sorti, pourquoi il a vécu, pourquoi il meurt ; Hobbes, ce Hobbes, qui craignait tant les fantômes, s'écriant, avant de s'éteindre, en désignant sa tombe : « Voici la pierre pbilosophale! puis: « Je vais faire un grand saut dans l'obscurité. » Toutes ces morts, au fond plus bizarres et plus vaniteuses qu'intrépides, ne suggèrent à Deslandes aucune pensée forte, haute, ni même utile à sa thèse en faveur de la nonchalance philosophique. Il ne tire aucun avantage (tant il est maladroit) de l'ironie sublime de Trajan : « Je sens que je deviens dieu ! » ni de la réponse de Patru à Bossuet, qui l'engageait à faire un discours chrétien avant de mourir : « Monseigneur, on ne parle, dans l'état où je suis, que par faiblesse ou par vanité » parole ferme qui, sans doute, a de la grandeur ; en revanche, il a l'air de s'extasier sur l'épitaphe que se fit Darius Ier : « J'ai pu beaucoup boire de vin et le bien porter !" et aussi sur ces vers de l'empereur Adrien faits in extremis, et traduits ainsi par Fontenelle : « Ma petite âme, ma mignonne, tu t'en vas donc, ma fille ( Dieu sache où tu vas ! tu pars seulette, nue et tremblotante. Hélas! que deviendra ton humeur folichonne? que deviendront tant de jolis ébats? » Des hommes qui ont marché d'un pas délibéré au supplice, il ne vante que ceux qui ont conservé de la belle humeur, et montré de la nonchalance jusqu'à la fin, comme Thomas Morus, dit-il, Etienne Dolet, Phocion, Socrate... Pour Phocion et Socrate, halte là! ils ne sont pas morts nonchalamment, ils sont morts divinement. L'auteur s'autorise encore de Montaigne pour établir que la mort n'est rien, et cite un passage des Essais sur les Morts entremeslées de gausseries, où figurent plusieurs gens du peuple qui sont allés au supplice en riant, sans voir qu'il plaide ici contre lui-même ; car, dès l'instant qu'un voleur qu'on pend peut s'écrier, au lancer de la corde : « Vogue la galère! » on n'admire plus si fort le tire le rideau, la farce est jouée de maître François, et l'on est obligé de convenir que le rire nonchalant, à la mort, peut bien n'être pas la marque d'une grande âme. Aussi Montaigne ne cherche-t-il pas, dans ces exemples, des morts courageuses et philosophiques, mais seulement des morts faciles : ce sont tout simplement des faits curieux qu'il constate, et où d'ailleurs il ne voit aucun sujet d'admiration ; autrement il serait forcé d'admirer la mort des bêtes plus que toute autre mort ; ce qu'il n'a garde de faire. Dans sa stérile et confuse énumération, Deslandes se fait assez juger sans qu'il ait besoin de couronner ses réflexions, comme il le fait, par cette audacieuse et révoltante proposition : « Les idées de vertu et de vice sont assez chimériques ; elles supposent autant de vanité que d'ignorance. » (Auguste François Louis Scipion de Grimoard-Beauvoir Du Roure de Beaumont-Brison (marquis) in Analectabiblion ou Extraits critiques de divers livres rares, oubliés ou peu connus, Tome II, Paris, Téchener, 1837, p. 430 et suiv.)
Les poésies diverses commencent dès la page 130 (jusqu'à la page 164). Viennent ensuite les Épitaphes et autres pièces plaisantes. Le volume se termine par quelques lettres et poésies de La Chapelle.
Deslandes, avec cette ouvrage notamment, et son histoire critique de la philosophie (1737), peut passer pour un des premiers auteur à avoir diffusé la pensée athéiste et matérialiste en France. On peut même avancer qu'il fut un précurseur de la libre-pensée :
"On peut au dedans de soi-même penser tout ce qu'on veut, et pourvu qu'on ajuste son extérieur à ce qui se pratique parmi les hommes avec lesquels on vit, les hommes n'ont rien de plus à nous demander : c'est tout ce qu'on leur doit." (Histoire critique de la philosophie, tome I, p. 355)
Références : J. Macary, "Masques et Lumières au XVIIIe", H. Lefebvre, "Diderot", p. 34 et O. Bloch, "Le matérialisme du XVIIIe s.", p. 227 sq.). L’ouvrage fut mis à l’index en 1758.
CHARMANT EXEMPLAIRE DANS SA JOLIE RELIURE EN VEAU DE L'ÉPOQUE DE CET OUVRAGE PRÉCOCE MATÉRIALISTE.
VENDU
RÉFLEXIONS SUR LES GRANDS HOMMES QUI SONT MORTS EN PLAISANTANT. Nouvelle édition, augmentée d'épitaphes & autres pièces curieuses qui n'ont point encore paru.
A Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1758.
1 volume in-12 (15 x 8,5 cm) de (2)-XXII-300-(10) pages.
Reliure plein veau fauve marbré, dos lisse richement orné, pièce de titre de maroquin rouge, doublures et gardes de papier marbré, tranches rouges (reliure de l'époque). Reliure et intérieur très bien conservés. Très frais.
Provenance : Ex libris manuscrit à l'encre brune sur le titre : F. S. Ménard (XVIIIe siècle).

NOUVELLE ÉDITION EN PARTIE ORIGINALE.
Cet ouvrage curieux a paru pour la première fois en 1714. Il ne comptait avoir guère plus de 200 pages. Il y a aussi une édition de 1732.
Ainsi peut-on lire dans l'Analectabiblion de 1837 la notice suivante sur Deslandes et son ouvrage, forcément désuète mais qui éclaire bien le propos de l'ouvrage :
« André François, Bureau Deslandes était né à Poitiers en 1690, il fut commissaire général de la marine, à Brest, et il est mort à Paris en 1757, auteur d'une Histoire critique de la philosophie, d'un Recueil de traités de Physique et d'Histoire naturelle, de Pygmalion, de la comtesse de Monferrat et de quatorze autres ouvrages indiqués par M. Barbier, il est aussi le père de ces Réflexions, qu'il adresse à son ami, le sieur de la Chapelle, de l'Académie française, écrivain médiocre, à qui l'on doit, entre autres choses, les Lettres d'un Suisse à un Français sur les intérêts des princes. Le bon abbé l'Advocat, en qualifiant Deslandes d'auteur estimable qui pousse trop loin la liberté de penser ne pousse pas assez loin, pour un docteur de Sorbonne, la liberté de critiquer ; car ces Réflexions sur les grands hommes morts en plaisantant étalent, sous une forme qui heureusement n'est pas séduisante, le matérialisme le plus brutal. C'est un des premiers écrits de ce genre qui aient paru en français, alors que les esprits révoltés des persécutions religieuses, dont la fin du règne de Louis XIV fut souillée, et las d'une hypocrisie tracassière que le jésuite Le Tellier avait introduite à la cour, se précipitèrent, sans mesure, vers une nouvelle recherche des principes de la philosophie rationnelle. Deslandes annonce dans sa préface, que le goût du public de son temps, fatigué de maximes de morale détachées, telles qu'on en trouve chez MM. de la Rochefoucauld et de La Bruyère, s'étant tourné du côté de la métaphysique, il a entrepris son livre pour s'y conformer, en lui donnant d'ailleurs une forme légère, plus proportionnée à la faiblesse et à l'humeur de ses contemporains. On reconnaît , dès ce début, un auteur impertinent ; aussi l'est-il sans difficulté. Il n'a pas tiré grand profit, dit-il, de l'Officina du médecin Revisius Textor, où se trouve compilé un catalogue des Grands Hommes morts à force de rire, non plus que de l'Historia ludicra de Balthazar Bonifaccio, archidiacre de Trévise, où son sujet est abordé. Ajoutons qu'il n'a tiré grand profit de rien, pas même de sa raison, puisqu'il ne professe que du dédain pour des opinions dont le monde s'honore depuis qu'il y a des hommes. A l'entendre, il a essayé de réaliser le vœu de Montaigne, qui voulait faire un livre des morts notables, dessein bien digne d'un esprit sincère et investigateur tel que Montaigne ; mais certainement il n'a pas réalisé ce dessein comme l'eût fait l'auteur des Essais, ce penseur non moins sage que hardi, qui, assistant son ami au lit de mort, réveillait, dans sa pensée affaiblie, les consolantes idées de l'immortalité de l'âme humaine. Ces Réflexions, du reste, ne contiennent que 23 chapitres fort courts et fort superficiels. Une revue satirique des peines et des folies de l'humanité dans ses diverses conditions y mène d'abord à cette conclusion, que la mort est plus à souhaiter qu'à craindre ; lieu commun réfuté par le prix que chacun attache à la vie. Puis, de l'idée d'une mort inévitable et toujours imminente, le lecteur est conduit à la recherche hâtive des plaisirs ; déduction anacréontique plus que morale. Puis Deslandes cite Fontenelle, qui blâme Caton d'avoir pris la vie et la mort si sérieusement ; mais Fontenelle était un égoïste, à la vérité plein de bienveillance et de délicatesse, mais enfin un égoïste, et Caton n'était pas égoïste. S'il n'y avait sur la terre que des Caton, une société s'ensuivrait très solide et très vertueuse ; tandis que, s'il n'y avait qui des Fontenelle, à peine quelqu'un voudrait-il se déranger pour faire une saulce d'asperge. La doctrine favorite de Deslandes est l'indifférence , la nonchalance voluptueuse,pour me servir de ses expressions. Son héros, en fait de mort, c'est Pétrone, lequel ; se voyant tombé dans la disgrâce de Néron, quitta, sans souci, ses voluptés choisies et se fit ouvrir les veines dans un bain. Mais les voluptés choisies, embrassées comme Punique fin de l'homme, peuvent former aussi bien des Néron que des Pétrone ; témoins Pétrone et Néron. Après Pétrone vient le philosophe Cardan, qui avait prédit sa mort, et se fit mourir à point nommé pour n'en avoir pas le démenti ; ce qui est assurément un bel emploi de la force d'âme. Ensuite défilent Démocrite et Atticus ; Atticus qui se suicida pour échapper aux langueurs d'une diarrhée chronique ; je n'ai rien à dire à cela ; et Démocrite qui se laissa mourir de faim parce qu'il était vieux, avec cette circonstance que sa sœur, son aimable sœur, l'ayant supplié de vivre jusqu'après les fêtes de Cérès, qu'elle désirait voir, il consentit à vider encore un pot de miel. Défilent encore le vieil Anacréon mourant, pour ainsi dire, à table ; Auguste, se faisant coiffer pour la dernière fois, et disant aux siens : « Trouvez-vous que je sois bon comédien? » Rabelais, à l'agonie, congédiant un page du cardinal du Bellay avec ces mots : « Tire le rideau, la farce est jouée ! » Malherbe, en pareille occasion, reprenant sa servante sur une faute de langage ; mademoiselle de Limeuil, fille d'honneur de Catherine de Médicis, expirant au son du violon de son valet Julien ; comme aussi la reine Elisabeth au son de sa musique ordinaire ; Anne de Boulen, prise d'un fou rire sur l'échafaud ; Saint-Evremont, voulant, à son heure suprême, se réconcilier... avec l'appétit ; la courtisane Laïs, au retour de l'âge, exhalant son dernier souffle dans les bras d'un amant ; le léger Grammont disant à sa femme, pendant que Dangeau l'exhortait de la part de Louis XIV : « Comtesse, si vous n'y prenez garde, Dangeau vous escamotera ma conversion ; » Gassendi, moribond, qui se targue, auprès de son ami, d'ignorer d'où il est sorti, pourquoi il a vécu, pourquoi il meurt ; Hobbes, ce Hobbes, qui craignait tant les fantômes, s'écriant, avant de s'éteindre, en désignant sa tombe : « Voici la pierre pbilosophale! puis: « Je vais faire un grand saut dans l'obscurité. » Toutes ces morts, au fond plus bizarres et plus vaniteuses qu'intrépides, ne suggèrent à Deslandes aucune pensée forte, haute, ni même utile à sa thèse en faveur de la nonchalance philosophique. Il ne tire aucun avantage (tant il est maladroit) de l'ironie sublime de Trajan : « Je sens que je deviens dieu ! » ni de la réponse de Patru à Bossuet, qui l'engageait à faire un discours chrétien avant de mourir : « Monseigneur, on ne parle, dans l'état où je suis, que par faiblesse ou par vanité » parole ferme qui, sans doute, a de la grandeur ; en revanche, il a l'air de s'extasier sur l'épitaphe que se fit Darius Ier : « J'ai pu beaucoup boire de vin et le bien porter !" et aussi sur ces vers de l'empereur Adrien faits in extremis, et traduits ainsi par Fontenelle : « Ma petite âme, ma mignonne, tu t'en vas donc, ma fille ( Dieu sache où tu vas ! tu pars seulette, nue et tremblotante. Hélas! que deviendra ton humeur folichonne? que deviendront tant de jolis ébats? » Des hommes qui ont marché d'un pas délibéré au supplice, il ne vante que ceux qui ont conservé de la belle humeur, et montré de la nonchalance jusqu'à la fin, comme Thomas Morus, dit-il, Etienne Dolet, Phocion, Socrate... Pour Phocion et Socrate, halte là! ils ne sont pas morts nonchalamment, ils sont morts divinement. L'auteur s'autorise encore de Montaigne pour établir que la mort n'est rien, et cite un passage des Essais sur les Morts entremeslées de gausseries, où figurent plusieurs gens du peuple qui sont allés au supplice en riant, sans voir qu'il plaide ici contre lui-même ; car, dès l'instant qu'un voleur qu'on pend peut s'écrier, au lancer de la corde : « Vogue la galère! » on n'admire plus si fort le tire le rideau, la farce est jouée de maître François, et l'on est obligé de convenir que le rire nonchalant, à la mort, peut bien n'être pas la marque d'une grande âme. Aussi Montaigne ne cherche-t-il pas, dans ces exemples, des morts courageuses et philosophiques, mais seulement des morts faciles : ce sont tout simplement des faits curieux qu'il constate, et où d'ailleurs il ne voit aucun sujet d'admiration ; autrement il serait forcé d'admirer la mort des bêtes plus que toute autre mort ; ce qu'il n'a garde de faire. Dans sa stérile et confuse énumération, Deslandes se fait assez juger sans qu'il ait besoin de couronner ses réflexions, comme il le fait, par cette audacieuse et révoltante proposition : « Les idées de vertu et de vice sont assez chimériques ; elles supposent autant de vanité que d'ignorance. » (Auguste François Louis Scipion de Grimoard-Beauvoir Du Roure de Beaumont-Brison (marquis) in Analectabiblion ou Extraits critiques de divers livres rares, oubliés ou peu connus, Tome II, Paris, Téchener, 1837, p. 430 et suiv.)
Les poésies diverses commencent dès la page 130 (jusqu'à la page 164). Viennent ensuite les Épitaphes et autres pièces plaisantes. Le volume se termine par quelques lettres et poésies de La Chapelle.
Deslandes, avec cette ouvrage notamment, et son histoire critique de la philosophie (1737), peut passer pour un des premiers auteur à avoir diffusé la pensée athéiste et matérialiste en France. On peut même avancer qu'il fut un précurseur de la libre-pensée :
"On peut au dedans de soi-même penser tout ce qu'on veut, et pourvu qu'on ajuste son extérieur à ce qui se pratique parmi les hommes avec lesquels on vit, les hommes n'ont rien de plus à nous demander : c'est tout ce qu'on leur doit." (Histoire critique de la philosophie, tome I, p. 355)
Références : J. Macary, "Masques et Lumières au XVIIIe", H. Lefebvre, "Diderot", p. 34 et O. Bloch, "Le matérialisme du XVIIIe s.", p. 227 sq.). L’ouvrage fut mis à l’index en 1758.
CHARMANT EXEMPLAIRE DANS SA JOLIE RELIURE EN VEAU DE L'ÉPOQUE DE CET OUVRAGE PRÉCOCE MATÉRIALISTE.
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