jeudi 8 septembre 2022

Edmond Haraucourt. La Légende des Sexes (1940). 12 pointes sèches aquarellées par Georges Villa. Tirage à 210 exemplaires. On joint l'exemplaire de la très rare suite de 12 lithographies par Georges Villa pour les Bibliophiles du Cornet (1930). Exemplaire personnel d'Edmond Haraucourt avec longue dédicace de l'artiste. Exceptionnel.


[HARAUCOURT, Edmond] [VILLA, Georges]

La Légende des sexes. Poèmes hystériques.

A l'Enseigne du Bibliophallus, s.d. (vers 1940)

1 volume grand in-8 (25,5 x 17,5 cm), en feuilles sous couverture crème rempliée muette de l'éditeur, 169 pages. 12 pointes sèches hors-texte rehaussées à l'aquarelle (par Georges Villa). Parfait exemplaire. Sans emboîtage.

Tirage à 210 exemplaires.

Celui-ci, un des 168 exemplaires avec l'état définitif des gravures.

Tous les exemplaires sont imprimés sur papier vélin du Marais.






L'une des plus belles et des plus puissantes illustrations publiées pour La Légende des Sexes d'Haraucourt avec celle de Frans de Geetere parue quelques années auparavant. Il est d'ailleurs fort probable que Georges Villa se soit inspiré sinon imprégné des puissantes pointes sèches de De Geetere (1930).

La Légende des Sexes est le premier ouvrage de l'auteur. Haraucourt a 26 ans lorsqu'il publie de manière confidentielle à 212 exemplaires seulement (il existe plusieurs contrefaçons publiées ensuite) ces poèmes hystériques, véritable "épopée du bas-ventre". "Donc, dans le coït, rien ; à côté, rien. Avons-nous essayé les premiers la force contractile du sphincter anal ? (...) Avons-nous inventé le travail des langues, et le baiser adultère des taureaux ou des cygnes ? Rien ! nous n'avons rient fait, et nous ne ferons rien ! Il ne nous reste qu'un espoir, qu'un rêve irréalisé encore : l'application de l'envahissante électricité au travail voluptueux de nos sens. Et même doutons-nous, misérables que nous sommes, dans notre espérance dernière : car peut-être l'amour et le désir ne sont-ils que ces phénomènes dynamo-électriques , nos sexes, des accumulateurs ou des piles chargés de voltes et d'ampères, et desquels jaillit, par l'approche d'un pôle contraire, la resplendissante électricité de l'amour. (...)" (extrait de la Préface).






Élaboré en contre pied de la Légende des Siècles du grand Hugo, ce livre eut le succès du soufre. Du coït des atomes en passant par le Sonnet pointu ou le Sonnet honteux, ce volume composé de 39 poèmes est une aventure textuelle au pays des libertés curieuses. 

Ces premiers vers d'Haraucourt sont un ode à la liberté et à la chair, une cantate au sexe et au plaisir, une symphonie des mots du coît et de l'amour charnel décliné sous tous ses possibles.

Nous ne résistons pas au plaisir de citer in extenso trois poèmes du recueil :


Sonnet honteux


L'anus profond de Dieu s'ouvre sur le Néant,

Et, noir, s'épanouit sous la garde d'un ange. 

Assis au bord des cieux qui chantent sa louange,

Dieu fait l'homme, excrément de son ventre géant.

Pleins d'espoir, nous roulons vers le sphincter béant

Notre bol primitif de lumière et de fange ;

Et, las de triturer l'indigeste mélange,

Le Créateur pensif nous pousse en maugréant.

Et un autre…


Sonnet pointu

Reviens sur moi ! Je sens ton amour qui se dresse ;

Viens, j'ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.

Là... Tiens... Doucement... Va plus doucement...

Je sens, tout au fond, ta chair qui me presse.

Rythme bien ton ardente caresse

Au gré de mon balancements, O mon âme...

Lentement, Prolongeons l'instant d'ivresse.

Là... Vite ! Plus longtemps !

 Je fonds ! Attends,

Oui, je t'adore...

Va ! va ! va !

Encore.

Ha !


La jeune


J'ai rêvé d'une vierge impécable, aux yeux froids,

Qui d'un bond, émergeant des moiteurs de sa couche,

Vient accrocher le poids de son corps à ma bouche

Et pointe sur mon coeur le roc de ses seins droits.

Longtemps, pieuse et chaste, elle a porté la croix

De l'orgueil vertueux que nul désir ne touche ;

Mais voilà que le rut s'est éveillé, farouche,

Et la chair en révolte a réclamé ses droits...

Elle plaque à ma peau la peau d'un ventre ferme,

Et furieusement crispée, elle m'enferme

Dans l'effort ingénu de sa lubricité.

Ses canines d'enfant mordent ma chair de mâle...

A moi, toute ! Et la fleur de sa nubilité,

Pourpre, s'épanouit sous l'onde baptismale.


ON JOINT :

La très rare suite également de Georges Villa publiée de manière confidentielle pour ses amis les Bibliophiles du Cornet en 1930.

Cette suite de 12 lithographies coloriées par l'artiste se présente sous un feuillet crème replié format chemise qui contient imprimée la table des poèmes (3ème de couverture).

Format 23 x 15 cm environ.

Cette suite n'a été tirée qu'à 50 exemplaires.

Celui-ci est l'exemplaire offert par l'artiste Georges Villa à Edmond Haraucourt lui-même avec un très bel hommage autographe rédigé au verso de la chemise :

"Au grand poète Edmond Haraucourt, dont l'indulgence à mon égard, encouragea mon audace, et permit ces douze lithographies. Il voudra bien considérer que si j'ai tenté d'illustrer ces poèmes où éclate une vie débordante c'est que j'ai cru, en les lisant, que j'en comprendrais le lyrisme... lyrisme de la chair ... ! (si cette expression est possible). Avec mes très respectueux hommages, et l'expression de mon admiration. [Signé] Georges Villa, 1930"

La première lithographie est signée et numérotée au crayon par l'artiste (32/50). Les autres lithographies sont signées au crayon également comme il se doit.



Edmond Haraucourt meurt le 17 novembre 1941. Nous en savons pas s'il a eu connaissance de la seconde illustration de Georges Villa pour sa Légende des Sexes donnée sans date (vers 1940) sous l'adresse de l'Enseigne du Bibliophallus (édition proposée dans cette fiche). Quoi qu'il en soit, sur cette période d'une dizaine d'années, entre 1930 et 1940, Georges Villa livre avec brio deux interprétations totalement différentes de cette Légende des Sexes qu'il appréciait tant (voir ci-dessus la dédicace).

Nous avons ici la chance d'avoir l'exemplaire ayant appartenu à Edmond Haraucourt lui-même (suite des Bibliophiles du Cornet).

La cotisation annuelle pour être admis au sein des Bibliophiles du Cornet (Bibliophiles de Montmartre) était de 500 francs. Seuls les hommes pouvaient en faire partie. Les dames de ces messieurs les membres n'étaient pas invitées aux dîners donnés par la Société de bibliophiles. Elle fut fondée en 1929. Edmond Haraucourt en fut le Président d'Honneur. Cette suite de lithographies par Georges Villa, tirée à très petit nombre, fut pensée et distribuée pour les membres des Bibliophiles du Cornet. D'après quelques sources, cette suite aurait été tirée à 60 exemplaires. Or notre suite est bien justifiée sur 50 exemplaires seulement (??). Quid ? Nous avons pourtant vu des suites justifiées sur 60 exemplaires (??). Nous avons depuis peu qu'il existe au moins un exemplaire de cette suite tiré sur vieux Japon (nous l'avons eu en mains) et non justifiée (peut-être ces 10 exemplaires qui feraient que le compte est bon ??).

De la plus grande rareté.


Georges Villa (1883-1965) était une figure du Montmartre des Années folles, connu pour ses caricatures et pour ses portraits ainsi que pour ses dessins érotiques au réalisme renforcé par l'utilisation du fusain et du pastel. On luit doit également une très belle illustration libre (32 lithographies) pour l'Aphrodite de Pierre Louÿs (1938).

Exemplaire personnel offert à Edmond Haraucourt lui-même lors d'un dîner des Bibliophiles du Cornet de 1930. L'émotion à l'état brut et total !


Ensemble exceptionnel et parfaitement conservé.

La plus émouvante des provenances qui soit pour la Suite des Bibliophiles du Cornet.

VENDU

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